Photo : John Londono
Le film Le Cas Roberge célèbre son 15e anniversaire ces jours-ci. J'avais écrit la une du Voir consacrée à ce film en août 2008. Re-voici mon article de l'époque pour une bouffée de nostalgie :
L’idéologie des stars
Dans Le Cas Roberge, de Raphaël Malo, les créateurs de la populaire série de capsules Web, Benoit Roberge, Stéphane E. Roy et Jean-Michel Dufaux, prennent d’assaut le grand écran et l’obsession de la célébrité.
Le parcours précédant l’arrivée du Cas Roberge dans les salles de cinéma est constitué à la fois de détours et de raccourcis. D’une part, les scénaristes et comédiens Benoit Roberge, Stéphane E. Roy et Jean-Michel Dufaux entretiennent ce projet sous différentes formes depuis 2002, mais une fois qu’on leur a finalement donné le feu vert pour faire le film, tout s’est passé incroyablement vite.
L’élément déclencheur a été la création de la série Web Le Cas Roberge, une cinquantaine de capsules d’environ trois minutes qui ont été vues, au total, près de deux millions de fois depuis la mise en ligne du site, en juin 2007. Les principaux intéressés n’auraient pas pu prévoir un tel succès, eux qui, après avoir fait évoluer le personnage de Roberge dans un pilote d’émission de télé jamais produite puis un scénario de film qui tardait à être financé, ont décidé de le transposer sur le Web simplement pour le plaisir. “On a fait les capsules pour s’amuser, confirme le réalisateur Raphaël Malo. On ne s’attendait pas à avoir un go pour le film, ç’a été une surprise pour tout le monde.”
En plus de démontrer que leur concept avait un potentiel commercial, les capsules ont permis aux créateurs de développer l’univers du Cas Roberge. “On aurait pu faire le film sans faire les capsules, suppose Roberge, mais je ne suis pas sûr que ç’aurait été une bonne affaire. On serait arrivés complètement rookies, tandis que là, on a pu se pratiquer sur 50 capsules, autant dans l’écriture que dans le jeu.”
“Parallèlement, ajoute Dufaux, ça a permis de faire comprendre le ton, parce que sur papier, c’est toujours réducteur. Avec les capsules, les gens ont vu l’énergie, puis tout a déboulé de là.” Débouler est le mot juste: “Au mois d’octobre [2007], poursuit Dufaux, on nous a dit qu’on faisait le film. Là, il fallait finaliser le scénario, en janvier on faisait les auditions, puis en mars on commençait à tourner! C’est un processus qui a été très rapide, mais je trouve qu’il y a une spontanéité et une vérité qui viennent avec ça.”
Malo a lui aussi été étonné par la vitesse à laquelle les choses se sont déroulées: “Mon contrat n’était pas signé que les bannières étaient déjà dans les salles! Puis quand on a fini le tournage, il restait trois mois et demi avant la première. Ç’a été intense pour le montage, le mix sonore et tout ça.”
EN ATTENDANT GODARD
En 1968, dans la foulée des événements de mai, Jean-Luc Godard assiste aux Dix jours du cinéma politique à Montréal. Peu après, à la surprise de tous, il se rend à Rouyn-Noranda pour réaliser un curieux projet qui, selon le cinéaste suisse, n’aurait été possible nulle part ailleurs… Quarante ans plus tard, Roberge prend lui aussi la direction de l’Abitibi, désireux de suivre les traces de Godard. Mais cherche-t-il vraiment à s’accomplir artistiquement ou veut-il obtenir le maximum de reconnaissance avec le minimum d’effort?
Si vous avez suivi la série de capsules Web du Cas Roberge, vous vous doutez sans doute que notre “héros” penche plutôt vers la seconde option. “Le gars, explique Roberge, il s’illusionne qu’il va être heureux quand il va être connu, sans se rendre compte que ce n’est pas ça qui va remplir son grand vase vide.”
Évoluant lui-même dans le milieu du show-business depuis plusieurs années, ayant notamment été concepteur-scripteur des galas du dimanche de Loft Story, Roberge en connaît un bout à propos de la recherche de la célébrité à tout prix, citant justement les émissions de télé-réalité: “Loft Story, on a du fun à l’écouter, mais on fait tabar… C’est tout le contraire que de laisser une oeuvre. Ils deviennent connus, mais se souvient-on d’eux un an plus tard? Qu’est-ce qui arrive avec Nathan, mettons?”
AUTOFICTION, AUTODÉRISION
Une conséquence positive qu’a peut-être eue la télé-réalité, c’est d’inspirer plusieurs auteurs à jouer avec la limite entre la réalité et la fiction. Des séries telles que Curb Your Enthusiasm, Extras et Tout sur moi, par exemple, mettent en scène des acteurs qui semblent jouer leur propre rôle.
C’est le cas de Roberge, dont la personnalité dans la vie de tous les jours est l’inspiration première du film et des capsules Web. “Si je remonte en 2002, 2003, se rappelle-t-il, j’étais comme une boule d’angoisse et de questionnements, et mes amis trouvaient que ce serait drôle qu’on me filme. Puis là, tu te fais prendre au jeu, tu te développes un personnage, avec des réflexes comiques… Par la suite, il faut que tu t’en détaches un peu, mais c’est très dur quand c’est collé sur ta réalité… Je pense que je vais aller en thérapie!”
Jean-Michel Dufaux, qu’on retrouve dans le film en has been converti au bouddhisme, nuance quelque peu: “C’est pas nous qu’on joue. Oui, c’en est fortement inspiré, mais c’est pas nous. C’est un peu comme un roman à clés: il y a des trucs qui sont vrais, et il y a des trucs qui ne le sont pas.”
Bien qu’il admette avoir des traits en commun avec le Stéphane du Cas Roberge, un “théâtreux” frustré qu’on le reconnaisse surtout pour ses rôles à la télé (une émission pour enfants dans le film, Caméra café dans la vie), Stéphane E. Roy prend lui aussi quelque peu ses distances avec son personnage: “Je ne suis pas aussi casse-couilles que ça; j’espère, en tout cas! Puis dans le film, je méprise Sébastien, alors qu’en réalité, je ne méprise jamais les gens parce qu’ils sont populaires.”
Sébastien, c’est le symbole de la vedette au sommet de sa gloire, un animateur ayant du succès autant à la télé qu’à la radio, dont on retrouve le sourire éblouissant sur de grands panneaux un peu partout à travers la ville et qui tape sur les nerfs de plusieurs avec son éternelle gentillesse. Qui de mieux pour interpréter ce rôle que Sébastien Benoit? “Mon personnage, c’est moi, mais gonflé aux stéroïdes, précise Benoit. C’est une caricature, sauf qu’on flirte quand même avec la réalité… Foncièrement, je suis un gars gentil, poli et bien élevé. Quand j’ai commencé ce métier-là, j’ai fait des shows comme Flash ou La Fureur, où j’étais là pour faire la promotion des artistes. Alors très souvent, les gens ont dit que j’étais téteux et que j’étais trop fin avec tout le monde.”
Avec Le Cas Roberge, l’animateur espère casser un peu cette image-là, ce qui n’est pas sans rappeler comment Jacques Boulanger avait fracassé la perception que les gens avaient de lui en jouant une variation satirique de lui-même dans Parlez-nous d’amour. Bien enclin à se moquer de lui-même, Benoit a toutefois insisté pour qu’on ne se moque pas du grand public comme dans le film de Jean-Claude Lord: “À un moment donné, Boulanger disait: "Tiens, je vais aller entertainer mon public de varices.” Pour moi, c’était important de ne pas faire ça. Je ne suis pas un gars qui manque de respect envers son travail ou envers les gens qui le font vivre. Je suis juste une guidoune qui veut que tout le monde l’aime, c’est ça que je veux que le monde retienne. Sans faire La Poune, j’aime mon public et mon public m’aime!“
VEDETTE OU NE PAS ÊTRE
Outre le pèlerinage godardien en Abitibi, Le Cas Roberge se déroule principalement sur le Plateau Mont-Royal, du Renaud-Bray/Champigny à l’Edgar Hypertaverne, dans un milieu de vedettes petites et grandes (Bianca Gervais, Jean-Thomas Jobin, Marie Plourde et Yves P. Pelletier y font notamment des caméos) dont on découvre les qualités, mais surtout les travers. "C’est pas mal inspiré de ce qu’on vivait, de l’écoeurement du showbiz, confie Roberge. Il y a un peu des fantasmes exorcisés là-dedans.”
Dufaux renchérit: “Je voulais que ce soit un regard caustique sur ce milieu-là; parce que j’en fais partie de près ou de loin depuis 18 ans, je commence un peu à comprendre comment ça marche et ça me fait rire. C’est un milieu où l’on est tous remplaçables, faut pas se la jouer et avoir la grosse tête.”
Bref, dans le jeu de serpents et échelles qu’est la célébrité, ce qui compte, ce n’est pas le statut souvent bien éphémère qu’on a, c’est d’être fier de ce qu’on accomplit, que ce soit une pièce, une émission, un film ou, pourquoi pas, une série de capsules Web. “Je ne voudrais pas être connu juste pour avoir ma photo dans une revue, assure Roy. Ce qui m’intéresse, c’est jouer, écrire, transmettre quelque chose… Être connu, ce n’est qu’une conséquence. Être connu pour être connu, c’est une aberration!”